Santhiou Bouna

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19. Jour de marché

jeudi 13 février 2003, par Christophe D.


De retour chez mon marabout, nous dînons d’un tiébou guanar accroupis dans la chambre. Pas de coudou, Bécaye veut que je mange à la main. Je m’y suis déjà essayé chez Ali et ça n’est pas beaucoup plus facile cette fois. Mais le poulet est délicieux et je mange bien.

La conversation reprend pendant qu’une femme prépare du thé. Il a entendu dire que dans l’espace, les objets ne tombent pas. Me voilà donc à décrire les lois de la gravité qui nous cloue au sol, commande les marées et régit le mouvement des planètes. Avec un pot et ma lampe torche, je fais la démonstration du jour et de la nuit. Avec un deuxième pot j’arrive à simuler les quartiers de la lune. Bécaye note les définitions astronomiques d’un jour, d’un mois lunaire et d’une année.

On boit le thé, on fume une pipe, on discute jusque tard dans la nuit. Mais demain il faudra se lever tôt, car c’est lundi et je dois aller au marché avec Diao et Amadou.

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On part vers neuf heures, assis à sept sur la plate-forme du chariot. Le cheval trotte un moment dans le chemin de sable puis, fatigué par une petite côte, revient au pas. Après l’avoir laissé souffler vingt mètres, Diao l’encourage en agitant les rênes : "Alli, alli, alli !"

Au sortir du village, ce sont d’abord les zones cultivées. Le mil et l’arachide sont déjà récoltés, il ne reste que les pieds de manioc qui finissent leur croissance, les gniébés qui poussent en rampant sur le sol et le bissap rouge qu’on a planté partout pour délimiter les champs. Plus avant, c’est la brousse. Elle est assez verte cette année car il a beaucoup plu. C’est un paysage désespérément plat mais assez poétique, avec juste quelques arbres épineux de ci de là.

Le cheval s’arrête subitement. Il a eu peur d’un vieux sac de toile qui traîne sur le cas côté. Il faut aller dégager le monstre pour que le cheval consente à reprendre son chemin. Alli, alli, alli !

On se fait rattraper par trois gamins montés sur un âne. Celui qui conduit a le crâne rasé sauf un petit pompon sur le haut du front. On voit d’autres calèches sur un chemin parallèle, et d’autres encore qui arrivent derrière nous.

Au bout d’une demi-heure on a rejoint la route. On circule maintenant sur le bitume, soigneusement rangés sur la droite. Il n’y a pas beaucoup de circulation, mais c’est une route toute droite à deux voies où les cars rapides surchargés de voyageurs et de marchandises déboulent à plus de soixante à l’heure. C’est la seule route pour rallier Saint-Louis, au nord du pays.

On atteint enfin le carrefour d’entrée à Méckhé où des dizaines de calèches affluent de tous les villages environnants. Sans quasiment s’arrêter, on paye le droit d’entrée aux collecteurs municipaux qui délivrent un bout de papier en échange.

On fait le tour par derrière pour aller se garer sur un terrain ombragé où le cheval pourra boire et récupérer. Il pourra aussi manger le repas de branches d’arachide que Diao a enfourné dans un sac de riz avant de partir.

Il commence déjà à faire chaud. Comme c’est lundi, il y a une file d’attente interminable au dispensaire. J’aurais préféré un avis médical, mais on va à la pharmacie quand même, acheter du lait en poudre et un biberon.

Dilemne. Faut-il acheter du lait premier âge ou à partir de six mois, vu que le bébé a cinq mois ? Je lis scrupuleusement les notices, essaie de comparer les compositions et opte finalement pour le premier âge constitué de nutriments plus variés.

Je fais le tour du marché avec Amadou. C’est un des grands marchés à cent kilomètres à la ronde. Beaucoup de marchandise disposée sur des nattes de chaque côté des rues. Des calèches et des gens en tous sens, beaucoup de poussière et le soleil qui tape. J’achète une pochette d’eau fraîche.

Sur une grande esplanade de sable, des marchands qui viennent de tout le pays vendent des moutons, des vaches et des taureaux. Les moutons sénégalais n’ont pas de laine, et les vaches sont maigres avec de très longues cornes. Amadou fait mine de s’intéresser à un mouton pour se renseigner sur les prix.

Plus loin on vends des légumes. J’achète à diverses femmes des navets, des aubergines, des patates douces, des citrons et des mandarines. On n’arrête pas de rencontrer des gens du village. C’est lundi, tout le monde est venu au marché.

Sous deux grands fromagers, le long de l’ancienne voie ferrée, on vend des lapins et des pigeons emprisonnés au sol sous de grands filets de pêcheurs. On croise Pape qui vient essayer de vendre une paire de poules.

J’ai trop chaud. Amadou m’entraîne un peu en dehors de la foule, à l’ombre d’un mur et cette fois c’est Abdou le maître d’école qu’on retrouve. Il est rentré de Rufisque plus tôt que d’habitude pour avoir le temps de me parler. Il me présente à deux vieux qui sont les responsables de l’association des parents d’élèves.

Je décide de profiter du marché et de dépenser mes derniers 10.000 francs pour acheter des fournitures scolaires. Nous voilà repartis, Abdou, Amadou et moi à la recherche d’un marchand de cahiers. Je les laisse discuter les prix mais ma seule présence a fait monter les tarifs. Après une demi-heure de tractations on repart avec dix stylos, vingt cahiers et trente équerres.

Je graverai les stylos au nom de l’école et ils resteront dans le placard. Abdou les prêtera pendant la classe à ceux qui ont perdu ou cassé le leur. Les cahiers permettront de dépanner les élèves dont les parents traînent à en acheter un neuf quand le leur est terminé. Les équerres graduées serviront pour les cours de géométrie qui sont au programme.

Diao nous attendait et on rentre au village. On ramène le maître d’école et en chemin il m’apprend un peu de grammaire wolof. Si je l’avais connu plus tôt j’aurais fait plus de progrès. L’année prochaine, je le prendrai comme professeur.


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