Santhiou Bouna

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20. Un biberon en brousse

jeudi 13 février 2003, par Christophe D.


Comme d’habitude chez Amadou, j’ai droit à un bol à part. Je n’aime pas trop ce traitement de faveur, surtout qu’il y a manger pour trois dans mon plat, mais Amadou tient à ce que je mange tranquillement. Il pense aussi que c’est plus hygiénique pour moi qui ne suis pas "adapté". Je vais néanmoins manger à côté du groupe, et histoire de faire l’intéressant je sors de mon sac une paire de baguettes japonaises. Je mange dix fois plus facilement aux baguettes qu’à la main et ça les fait beaucoup rire.

Une fois rassasié, je jette mes instruments dans la gamelle lave-mains et vais me désaltérer au canari. Penda m’interpelle. Elle a rincé les baguettes et demande si elle doit me les rendre. Dans mon idée elle sont à usage unique et je lui fais donc signe de les jeter.

Elle en donne une à un garçon et voilà deux villageois équipés d’un sothiou tout neuf ! Cette fois c’est moi qui rit. Ils en machouillent d’abord l’extrémité et commencent à se frotter les dents comme on fait ici, en discutant et en vaquant. Vu la longueur des baguettes, voilà des sothiou qui dureront plusieurs semaines.

Il faut maintenant préparer les stylos comme convenu avec Abdou. Les enfants sont mes assistants. Ils m’observent faire avec des yeux tout ronds. Je gratte le plastique avec mon canif bien aiguisé pour faire une zone plate, puis de la pointe je grave "ECOLE". L’un tient les stylos qui ne sont pas encore marqués, deux autres collectent ceux que j’ai terminés. Après les stylos, je veux m’occuper des équerres, mais ils m’en dissuadent, expliquant qu’on saura bien que les équerres appartiennent à l’école puisque personne n’en a.

On range donc les affaires et comme je ne sais pas quoi faire. Je sors du papier et mes feutres. Je commence à colorier une frise toute en longueur.
— Qu’est-ce que tu fais ?
— Attends, tu va voir. Je la découpe ensuite et sors un stick de colle de mes affaires. Je choisis une petite fille pour terminer et fixe le ruban à son poignet. Instantanément les enfants me commandent tous des bracelets.

On tire la natte un peu plus à l’ombre et je me mets au travail. J’invente de nouveaux motifs et de nouvelles harmonies de couleurs pour chaque bracelet. Mes assistants se chargent du bâton de colle, ils se le passent pour le sentir et l’éprouver du bout de leur doigt. Je leur apprend à le rétracter et à le tenir fermé pour qu’il ne sèche pas.

Sidi veut que je fasse des bracelets pour ces fils, Pape veut que je lui fasse une montre. Dont acte. Je fais aussi une montre pour la soeur de Moussa, et encore une autre. Chérif me demande une feuille et s’essaye à confectionner une hélice. Il a bien compris le principe mais manque encore d’adresse, je l’aide un peu.

Diao vient me chercher pour lui montrer comment préparer le biberon. Je sais que le danger ici, c’est que l’eau et l’hygiène approximative rendent le bébé malade. Il faut stériliser le biberon et faire bouillir l’eau du lait pendant dix minutes.

On prend une gamelle et on commence à faire bouillir. Il faut beaucoup d’eau pour immerger le biberon et Diao n’a pas de gaz. On se relaie donc pour "houper" les braises et il faudra une bonne demi-heure pour obtenir quelques bouillons. En attendant, un gamin prépare du thé sur un petit fourneau, puis dans la théière il préparera l’eau du lait.

Je me rends compte que ce sera un travail considérable, et j’ai peur que les règles d’hygiène que je donne ne soient rapidement simplifiées. J’apprends à être fataliste, le bébé survivra s’il doit survivre.

Se laver ensuite les mains, doser le lait, tenir le pot à l’écart des enfants curieux qui voudraient y tremper leur doigt pour goûter, verser le complément d’eau et agiter.

Je ne suis pas resté attendre que le biberon refroidisse, mais Diao est passé plus tard pour me dire que le bébé aime ça et qu’il a tout bu. Il lui donnera deux biberons par jour pour économiser le lait...


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