Santhiou Bouna

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22. Les fous sont dans la brousse

jeudi 13 février 2003, par Christophe D.


J’ai mal dormi. Réveillé au milieu de la nuit par un insecte entré sous mon drap, j’ai épousseté mon lit, secoué le drap mais je suis resté à l’écoute des insectes qui marchent sur le mur et de petits grattements du côté de mon sac à dos. Je rallume ma torche et Amadou me demande ce qui ne va pas. Je lui parle des bruits et il me dit que c’est n’est sûrement qu’une souris qui vient chercher son repas. Mais moi par terre, imaginer qu’une souris pourrait venir me chatouiller... je ne me suis rendormi qu’au petit matin.

J’ai promis des photos et pour mon dernier jour au village, Amadou m’emmène donc faire le tour des familles. Je découvre ainsi tout un quartier que je n’avais jamais visité derrière la maison où habite le maître d’école. Ici il y un homme qui possède un chien et veut se faire photographier avec. Là, un garçon le front inondé de sueur tourne la manivelle d’une machine à décortiquer l’arachide. Dans une maison voisine un couple a loué un pressoir rudimentaire pour faire de l’huile. L’appareil en ferraille est posée sur des braises pour faciliter l’extraction. Mais beaucoup de maisons sont désertes, c’est le matin, les gens sont partis aux champs et on ne trouve souvent qu’une grand-mère qui garde les petits.

Il commence à faire très chaud et on rentre jouer à l’ombre. Je commente les illustrations d’un livre sur les animaux pour le joli Pape à la voix douce. On s’attarde sur ceux qui vivent au pôle nord. Il ne connaît ni les pingouins ni les ours, ni les morses. Je lui mime le déplacement des phoques sur la banquise, je lui raconte l’histoire du manchot impérial qui reste assis sans bouger pendant trois mois à couver son oeuf.
— C’est grave, commente-t-il en roulant les R.

L’après midi je retourne "donner des poses" à travers le village. Ce ne sont pas les photos que j’aurais aimé faire, toujours des portraits posés où les femmes prennent un regard vide, dirigé vers le sol.

A cinq heures moins le quart, juste avant la fin de la classe, j’ai rendez-vous pour faire don officiellement des cahiers, équerres et stylos à l’école. J’ai une quinzaine de feutres que je décide d’offrir aux sept filles de la classe. Je les prépare donc pour faire autant de lots, attachés deux par deux avec des bandes déchirées d’un vieux tissu qui traîne. J’offrirai les livres sur le corps humain à la classe, ainsi qu’un autre qui décrit l’anatomie de divers poissons, coquillages et crustacés.

La maison est plus calme les mardis et jeudis après-midi car les élèves sont à l’école. J’enregistre quelques CD sur des cassettes pour leur laisser, je me repose à l’ombre. Pape est toujours là à détailler les livres. Il me demande :
— Pourquoi tu n’es pas marié ?
— Parce que je suis un fou.
— Non, toi tu n’es pas fou, tu es très intelligent.
— Mais si je ne suis pas marié, c’est que je suis fou.
— Ici les fous sont dans la brousse...
Echange de sourires.

Il désigne mon bras.
— C’est joli. Ta peau, c’est doux.
Je caresse son bras et lui déclare que sa peau aussi est douce.
Embarras, et nouveaux sourires.

Je pense à l’année prochaine, sera-t-il là pendant mon séjour ? Irons-nous dans la brousse ? N’ai-je pas trop vite interprété ces paroles d’un dernier jour ? On reste là les yeux dans les yeux et je rouvre le livre pour changer de sujet.


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