jeudi 13 février 2003, par Christophe D.
Partir un jour de Toussaint quelle idée. Vers quelques heures du matin, mon carton de livres finalement bouclé mais mes affaires personnelles pas encore emballées, j’ai rejoint une fête d’Halloween à laquelle j’étais invité.
Paris est incroyable, Paris était embouteillé.
A l’adresse indiquée on portait des masques Ben Laden, on consommait toutes sortes de drogues, mais surtout, surtout on dansait. Et pour finir en beauté mon séjour en pays dit civilisé, jusqu’au lever du jour j’ai dansé.
Il y eut les incertitudes et les péripéties de départ. La grève d’Air Afrique. J’avais un coupon NONREMB NONRER NONECH acheté sur internet. Non remboursable, non reroutable, non échangeable. Dans ces conditions Air France ne pouvait rien pour moi. Je devais contacter mon agence de voyage... Et le retour dépité de Roissy. Et encore 250 balles de taxi.
Et puis dormir maintenant. Dormir. C’était le jour des morts.
Le numéro à deux francs vingt et un la minute m’annonçait toujours que mon attente risquait de se prolonger au-delà de cinq minutes. Mais je voulais arriver au village, moi, alors j’écoutais la pub et la musique sous les palmiers. Et puis encore la pub, et la musique du café, et puis l’attente qui, nous sommes désolés, allait encore se prolonger. Et la musique des vahinés, et la pub et la musique sous les cocotiers...
J’ai cherché une adresse dans les papiers, un siège social, quelque chose, et j’ai trouvé 66 Champs-Elysées. C’est une galerie marchande et, bien sûr, l’agence internet n’avait pas de boutique. J’ai fait les portes dérobées, les sous-sols et les ascenseurs discrets, et j’ai trouvé. J’ai trouvé des bureaux presques vides, des employés affairés à remplir les derniers cartons du déménagement de la société vers Saint-Ouen. Grâce aux derniers ordinateurs encore connectés on m’a échangé mon billet. Air Afrique allait reprendre ses vols lundi ou bien mardi peut-être. Air peut-être... Non j’ai changé mon billet pour un vol via Lisbonne. Je partais donc ce soir avec seulement 36 heures de retard.
Il faisait un grand soleil bien froid à Paris. J’ai été me régaler dans un japonais du quartier, puis j’ai descendu les Champs-Elysées et je suis rentré à pied pour m’imprégner encore une fois de la belle capitale que j’allais quitter.
Dans les embouteillages du Sentier, j’ai trouvé un taxi qui voulait bien m’emmener s’il réussissait à sortir de ce merdier. Il conduisait un ami à Roissy alors on a discuté. Mais pour Lisbonne vous ne partez pas d’Orly ? Je dois lui dire encore merci. Il a tourné à Arts et Métiers et au feu rouge derrière Beaubourg couru parler à un collègue. Il m’a aidé à transborder mes sacs et mon carton de livres. Et non, je n’avais rien à lui payer.
Il ne restait plus beaucoup de temps mais mon nouveau chauffeur sut s’y prendre et j’arrivais dans les temps à l’enregistrement. Les hommes en boubou poussaient des chariots bien chargés de couettes, de chaînes Hi-Fi et de radio-cachettes, de grandes cantines et de petites cantines, et de cartons tout recouverts de scotch, comme le mien. Les employées de la TAP Air Portugal étaient intraitables au sujet des excédents. Les africains s’emportaient et rien n’avançait. Quelqu’un m’a fait passer devant. Mon carton de livres pesait trente kilos, avec mon sac à dos quarante trois, et la femme m’a demandé ce que c’était : des livres pour une école de brousse. Elle a collé les étiquettes, et je n’ai rien payé. Et je l’ai fermée, même si je pensais... Même si je pensais.
A l’escale portugaise on nous fit attendre. En portugais et en anglais. Suite à un problème technique on nous donnerait d’autres informations dans une heure. Certains attendaient debout devant la porte, d’autres finissaient par s’asseoir. Par moment le ding-dong d’une annonce faisait se mettre en rang tous les africains, mais nous n’étions pas concernés, en portugais et en anglais.
Et l’heure de notre arrivée prévisible s’éloignait, et l’heure de notre arrivée prévue approchait. Les cabines acceptaient la carte VISA mais ça ne marchait pas. J’ai parlé du problème aux douaniers. Si j’avais un passeport européen je pouvais sortir et essayer ailleurs. Je suis sorti et j’ai fouillé l’aéroport à la recherche d’un cabine coopérative. En vain. Un bureau de change ouvert. J’ai changé cent francs et suis allé à la machine qui vendait des cartes téléphoniques portugaises. Elle a recraché mes billets. Alors j’ai essayé une machine à monnaie qui m’a donné des pièces, plein de lourdes pièces et j’ai inséré une pièce, qui est retombée, et une autre, qui est retombée, mais le montant à payer avait diminué. Alors j’ai continué et la machine m’a tiré la langue. Une jolie carte de 50 unités. J’ai repris toutes mes pièces et j’ai extorqué cette fois une carte de 100 unités.
J’ai raconté mon histoire aux sénégalais qui attendaient et j’ai offert mes unités. Et ils riaient bien et m’ont demandé de retourner en acheter bien plus car ils étaient nombreux. Et je suis repassé par les douaniers qui commençaient à me connaître et m’ont fait signe de passer. Et j’ai ramené, personne ne me regardait, cinq cartes de 100 unités.
Avec les sénégalais nous avons discuté et quand nous avons su finalement que nous allions embarquer à deux heures et arriver vers six, j’ai encore prévenu Amadou et tout le monde s’est aussi mis à téléphoner avec le reste des unités.
J’avais le siège à côté de l’issue de secours. L’hôtesse est venue s’attacher près de moi pendant le décollage. J’ai demandé, mais enfin que s’est-il passé ? Cinq heures de retard sans excuses, sans explications... Elle était consternée. C’était le groupe auxiliaire pensait-elle savoir, celui qui fournit l’électricité d’éclairage pour les passagers. Il avait fallu attendre qu’un autre avion soit libre. Depuis le onze septembre tout va de travers, les gens ne pensent plus qu’à la sécurité et plus aux passagers. Elle m’a raconté que la semaine passée elle avait failli rater son vol car l’aéroport avait oublié d’annoncer l’embarquement des passagers. Qu’une autre fois une femme avait acheté des ciseaux à ongles à la boutique duty-free. Qu’on ne voulait pas la laisser embarquer. Qu’on fit sortir tous les passagers pour identifier leurs bagages, et qu’elle glisse enfin l’arme non autorisée dans sa valise, avant de tout réexpédier dans la soute et de recommencer l’embarquement des passagers excédés. Mais elle devait maintenant se lever pour aller travailler, nous servir à dîner.
Amadou était là pour m’accueillir.