Santhiou Bouna

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7. Le tangram

lundi 31 mars 2003, par Christophe D.


Quand je me suis réveillé, il n’y avait plus que Bouba dans la chambre. Il dormait tranquillement sous la couverture verte et rouge.

J’ai mis mon nez dehors et j’ai aperçu Ndeye à l’autre bout de la cour. Elle arrachait quelques pailles de la toiture en lambeaux de l’ancienne case du père d’Amadou. Puis elle est revenue vers la case cuisine, et je suis allé voir. Elle y préparait le feu. Avec une braise de la veille, sortie avec les doigts de sous la cendre, les brins de paille bien secs et quelques bouffées de bufadou, ce fut un jeu d’enfant.

J’ai ramené le bufadou cet été d’un séjour en Dordogne. C’est un succès. Il paraît qu’il n’y a pas de bois creux pour en faire ici, et on attise le feu avec des sortes d’éventails en paille pas toujours très efficaces.

On a entendu des roulements de sifflet et une "sarette" dans le chemin. Ce sont les marchandes de poisson. Elles viennent chaque jour avec une charrette dont elles partagent sans doute les frais. Elles s’arrêtent sur la place du village, près de l’arbre aux sept épines, et défont sur une natte leurs petits balluchons de poisson. Les femmes viennent, on échange des salutations et des nouvelles, on discute les prix. "Ce moment, le poisson c’est cher !" m’a dit Ndeye en français.

Cher, c’est autour de 75 francs le poisson (en CFA).

Amadou arrive seul avec la charrette. Penda va bien, elle rentrera plus tard, le bébé ne viendra pas maintenant.

Il a acheté des sandales pour Boubacar car il commence à marcher. C’est la première fois qu’on emballe les pieds de Bouba. Il se laisse faire mais ça n’est quand même pas facile. Il marche quelques pas et tombe tout droit sur le cul, sans broncher. Il attrape un truc dans la sable, comme si c’était là qu’il avait toujours eu l’intention de s’asseoir.

Quand Penda est revenue elle est venue me montrer sa boite de médicament. Du Spasfon, un antispasmodique. C’est Amadou qui a payé.

Je l’adore, Penda, elle est toujours joueuse et riante. Elle veille tard avec la mère d’Amadou à écouter de la musique avec nous le soir, devant la case d’Amadou. Elle sait faire un joli tour de magie avec une pièce et des petits puits dans le sable. C’est aussi la seule adulte que j’aie vu pleurer au village, hier à genoux derrière la palissade, et l’an dernier le matin de mon départ.

Avec le médicament elle n’a plus mal, mais elle va aller dans sa case pour dormir. Me voilà à peu près rassuré.

Celui qui qu’Amadou appelle son tonton, vient saluer la maison et prendre des nouvelles. Pour lui, amateurs de devinettes, je sors le tangram. J’ai pris soin d’acheter un modèle en bois, mais il est dans un boîte en carton, rangé en carré dans un cadre en plastique. Le dessin du carré reconstitué est sur le couvercle que je fais disparaître en l’emboîtant contre le fond. Je lui montre les pièces bien rangées quelques secondes, et je les renverse sur le lit, les mélange, et il a bien sûr compris.

Il cherche ainsi pendant une bonne demi-heure, mais sans jamais penser à assembler les deux grands triangles le long d’un même angle. Malik et Diao se sont joints en observateurs, mais les doigts leur démangent d’essayer eux-mêmes de faire rentrer ces sept morceaux dans le carré de plastique. Amamdou rentre des champs et s’y met. "On ne peut pas trouver" dit le tonton avec un large sourire. J’assemble le carré rapidement et renverse à nouveau les pièces, mais il s’en va, laissant le jeu aux jeunes.

On va s’installer dehors à l’ombre sur une natte, et j’observe, j’essaie d’apprendre quelque chose sur leur façon d’appréhender un problème, sur le fonctionnement du cerveau. Je finis pas leur livrer la position des grands triangles, et c’est Tafa, arrivé plus tard qui trouvera, presque fortuitement, incapable de reproduire ensuite ce qu’il venait de trouver.

Le tangram est un puzzle redoutable. Ce simple carré est découpée d’une façon si habile, qu’il faut pour réussir vaincre plusieurs a priori. Se détacher de la symétrie et des concordances de formes qui plaisent au cerveau.


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