Santhiou Bouna

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6. Les petites cartes

jeudi 13 février 2003, par Christophe D.


J’ai sorti les piles Duracell de mon sac et Amadou déballe le radio-K7 qu’il a protégé dans un plastique sous son lit. Il met la radio et rapidement des amis viennent nous rejoindre pour profiter de l’aubaine que représente cette distraction. Il commence à faire très chaud sous la tôle ondulée.

Dans la cour on a disposé deux grands bols à l’ombre, car on est très nombreux. On me prépare un bol à part qu’on mamène à l’intérieur car je ne mange pas vite et Amadou souhaite que je mange à ma faim. Les femmes ont utilisé quelques uns des légumes que j’ai apportés : aubergines, navets blancs, patates douces. La base est toujours le même : riz, gniébés et poisson séché.

Après le repas je sors de la case et vais au frais, à l’ombre, sur la natte. Je sors un des jeux que j’ai amené.

40 paires de cartes représentant des animaux qu’on dispose mélangées face contre le sol. Le joueur retourne deux cartes. Si elles sont identiques il les prend et rejoue, sinon il les replace et passe la main au suivant. Le gagnant est celui qui empoche le plus de paires. La seule stratégie consiste à essayer de se souvenir de l’emplacement des figures aperçues lors des échecs précédents, d’où l’intitulé du jeu : memory.

C’est vite expliqué et la première partie jouée avec Amadou, Ali et Moussa suffit à susciter l’excitation. Les petits pigent vite et ont une bonne mémoire. Ils soufflent l’emplacement des cartes à retourner, poussent des cris quand un joueur se trompe. A la seconde partie ils sont une dizaine à vouloir jouer, il faut faire la discipline pour que les gamins respectent leur tour et attendent que la paire précédente soit retournée avant de jouer.

On ordonne "doppel" dès qu’une mauvaise paire est tirée. Ça veut dire "retourne". On dit le nom des animaux, du moins ceux qu’on arrive à identifier. Il y à l’âne (mbam), le cheval (fas), le poussin (tiout guanar), l’éléphant (nyeye), le lion (gaïndé), le chat (mouss), le singe (golo), la chèvre (bey), le chien, le renard, le lapin. Les autres sont inconnus ici : pingouin, ours blanc, koala, hippopotame, opossums, vache normande, mouton laineux, kangourou, fennec, lama, etc.

Bip, bip, bip. Un son électronique inhabituel en ce lieu.

Quelqu’un ici a une montre qui sonne. Il est trois heures. Quelques enfants partent pour aller à l’école. Aussitôt, quelques tractations et chamailleries s’engagent pour déterminer ceux qui prendront leur place dans la partie en cours.

Le jeu est redoutable et dévoile certains travers de notre cerveau. Il y a une paire de têtes de chimpanzés bruns et une paire d’orangs-outans à poil roux mais on se méprend souvent car ce sont des singes. On confond l’emplacement du vol de mouettes avec celui de la carte des pingouins car elle aussi a un fond bleu. On se mélange entre les opossums et les koalas car ils sont présentés en couple sur les images. Pour ma part j’ai du mal dès la troisième partie d’affilée à ne pas mélanger mes souvenirs avec ceux des parties précédentes.

Je me retire mais les parties s’enchaîneront jusqu’au soir. L’affaire est lancée et chaque jour, sous le cerisier de la cour, se joueront des dizaines des parties du jeu rebaptisé "petites cartes".

On sort le radio-K7 et je vais m’installer sous l’autre arbre, avec les femmes.


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